Télécharger CARF NEWSLINE, Numéro 002 du 01 au 31 octobre 2024
Editorial
Le mois d’octobre est assez particulier en ceci qu’il annonce sans vraiment le dire la fin de l’année. Ou presque. Pour nous dans la Province du Haut-Katanga, il présage déjà une nouvelle saison des semailles. Mais comme nous le savons, à peine une petite pluie est venue arroser la terre un 12 octobre. Tout le monde se plaint des chaleurs torrides que nous n’avions pas connu avant. L’expérience du réchauffement climatique n’est plus une fiction ou un discours importe. C’est devenu notre réalité de chaque jour.
Les Jésuites à travers le monde terminent le mois d’octobre par la célébration de la fête de Saint Alphonse Rodriguez (25 juillet 1533 – 31 octobre 1617). Il fut un frère qui vécut presque toute sa vie apostolique dans un même endroit, au collège de Majorque, en Espagne. Il était « portier ». Il était déjà un homme suffisamment éprouvé par la vie lorsqu’il sentit l’appel à devenir Jésuite. Sa familiarité avec Dieu lui avait enseigné l’essentiel. Profondément humble, toujours serviable, et ayant une sagesse qu’il puisait dans la prière, notre saint répondait à chaque coup de sonnerie qu’il entendait, « attendez, Jésus, j’arrive ». Tout visiteur représentait la personne du Christ à aimer et à servir avec ferveur et diligence. Tout comme Mgr Munzihirwa qui sut faire la part des choses – pendant le génocide Rwandais – entre l’humain qui, sauvé par le sacrifice de la Croix, est continuellement appelé à la conversion et le péché qui s’empare sournoisement, de force, le cœur de l’homme pour le détourner du projet divin. Dans la vulnérabilité de l’humanité qui est continuellement menacée dans notre pays, et ou notre dignité bafouée, notre liberté menacée, seule une participation à la vision chrétienne de l’homme nous remettra debout.
Alphonse Rodriguez comme Christophe Munizihirwa n’ont pas en commun seulement leur appartenance à la Compagnie de Jésus. Ils avaient tous deux une vie de prière intense. En eux deux se résume tout l’élan spirituel et toute la tradition mystique de la Compagnie de Jésus. « Être porté vers le ‘Magis’ – le davantage – sans oublier de demeurer ancré dans le concret de petites choses du quotidien » ! Cultiver une liberté intérieure, une indifférence positive qui rend la personne disponible pour faire la Volonté de Dieu et le met au service de ses frères et sœurs à la manière du Christ. Un détachement de tout et un attachement amoureux à la personne du Christ. Une espérance ouverte sur la communion des saints comme le mois d’octobre s’éclipse pour faire place à la commémoration de tous les saints et toutes les saintes, sur le premier jour de novembre, et le rappel de tous nos frères et toutes nos sœurs qui nous ont précédés dans l’au-delà le jour suivant.
C’est ainsi que le CARF, comme toute la Province Jésuite d’Afrique Centrale d’ailleurs, clôture ce mois d’octobre par la célébration intime et privée de notre frère Rodriguez et celle publique de la mémoire d’un frère, un ami, un compagnon, un père, et un modèle – le Serviteur de Dieu, Mgr Christophe Munzihirwa. Nous nous estimons chanceux d’avoir des modèles de foi, d’espérance, et d’engagement au service des autres comme ces deux figures que je viens d’évoquer. Il y a exactement 28 ans cette année, le 29 octobre 1996, que Mgr Munzihirwa se dessaisissait de sa vie pour ses amis, comme le Christ lui-même. « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne » (Jean 10 :18). Il avait vécu en homme libre, authentique, et dépouillé de son ego. Dans sa simplicité, il trouvait le courage d’aimer et de ne faire que ce qui plaisait à Dieu : servir la vérité, la justice, la paix. Il incarnait à la perfection cette parole du prophète Michée (6 :8) « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, et ce que l’Éternel demande de toi. C’est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, et que tu marches humblement avec ton Dieu. » Depuis sa mort pour défendre la justice et exprimer la compassion de Dieu pour l’humanité brisée, une tradition s’est installée. Chaque mois d’octobre, et pendant 28 ans, la communauté commémore avec des messes, des réflexions sur la condition humaine en général et la réalité de nos pays d’Afrique en particulier, des conférences sur la dignité de nos peuples, et la signification de notre foi Chrétiennes. Comme l’écrivait ce prophète de notre temps, « Pour les actes de la vie, mourir est important car c’est un acte qui se prépare pendant l’existence qui précède. Et le silence final est une parole d’une grande richesse pour celui qui sait écouter de l’intérieur. La mort est la lune dit un proverbe, personne n’a jamais vu sa face cachée. Elle n’est qu’un autre visage de la vie : celui que nous ne voyons pas ».[1]
Ce mois d’octobre, le philosophe Jean Murhega a accepté de nous entretenir sur la portée de ce silence final du prophète, qui est une parole inépuisablement riche pour ceux et celles qui savent écouter de l’intérieur. « Le Combat » extraordinaire de cet homme ordinairement simple « pour un monde plus humain ». Sa vie fut un combat pour humaniser le monde. C’est important de le souligner. Depuis la nuit de temps, des forces maléfiques fusionnent pour frustrer le plan et le projet de Dieu sur la vie. Ces forces du mal – que nous résumons et assumons dans l’appellation du Diable, ou Satan, ou le Mauvais – et que Saint Ignace appelait « l’ennemi de la nature humaine », détruisent tout ce qui est harmonieux dans l’humain et autour de lui, en l’enfermant dans l’orgueil et le péché.
La mort de Mgr Christophe Munzihirwa, le 29 octobre 1996, annonçait le déchainement de ces forces du mal contre tout ce qui est beau dans l’humain : l’humble, la vérité, l’amour du prochain. Satan a horreur qu’on l’irrite et qu’on frustre ses plans. Les seules armes pour le résister sont les mêmes attitudes qui étaient celles du Christ. La simplicité d’être, l’humilité dans le service, et l’amour du prochain. Quand l’ennemi du genre humain se sent défié par une attitude d’une totale indifférence entre « vie longue ou vie courte ; santé ou maladie ; richesse ou pauvreté… » puisque nous avons Dieu – il n’hésite pas à détruire avec la plus grande violence et méchanceté ce qui lui rappelle dans l’humain la victoire du Christ. La Croix du Christ, aimée et embrassée, est une humiliation pour le diable. C’est ainsi que des confrères musiciens avaient chanté sur Mgr Christophe Munzihirwa, « depuis que le Christ est ressuscité, la mort n’est plus qu’un passage. » Commémorer un tel homme, chaque année, s’inscrit évidemment dans la mémoire intemporelle que nous faisons de la Victoire du Christ. Et cette victoire nous rappelle que l’humain a pour vocation une libération totale.
Dans son engagement social, le CARF continue à s’inspirer des exemples des témoins de la lumière. Dans sa mission, il veut aussi participer à ce combat pour la libération de l’homme et de la femme Congolais et Congolaise. Ainsi, qu’il s’agisse des formations que nous organisons, et qui se sont centrées en ce mois d’octobre sur la comptabilité, la fiscalité, et l’informatique, ou qu’il s’agisse des acquisitions de nouveaux ouvrages pour la Bibliothèque qui d’ailleurs porte le nom de Mgr Munzihirwa, tout notre travail est animé par l’unique désir de participer à la mission du Christ, qui est aussi celle de l’Église et de la Compagnie, libérer nos frères et sœurs de toute forme d’oppression. N’était-il pas venu pour que « nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance ?» (Jean 10 :10). Nous sommes heureux de vous partager aussi quelques témoignages de nos partenaires locaux, ceux et celles qui participent à nos formations et qui abondent dans le sens de la mission que nous partageons.
Enfin, nous espérons qu’ensemble, nous allons écouter de l’intérieur les nouveaux appels que les retards des pluies, le réchauffement climatique, les demandes globales des ressources stratégiques, les aspirations de nos communautés et de notre peuple nous adressent. Comme Saint Ignace nous le demande dans les Exercices Spirituels, nous avons besoin de la grâce pour ne pas être « sourds » à ces appels. Mgr Fulgence Muteba, Archevêque métropolitain de Lubumbashi nous rappelait avec force à l’ouverture de l’année pastorale 2024-2025 que nous devons nous approprier davantage l’esprit de la responsabilité écologique. Car « Vraiment, il n’y a pas d’environnement sans nous ! » De la même manière, il n’y aura pas de justice sociale, historique, environnementale, etc. sans notre implication. Il n’y aura pas de vérité sur les faits de l’histoire si nous choisissons le confort du pouvoir et de la vie facile. Il n’y aura pas de libération de l’homme et de la femme – surtout les plus vulnérables dans nos communautés – si nous choisissons d’ignorer les enjeux du moment. Alors que la fin de l’année 2024 approche à grand pas, nous sommes appelés dans l’espérance Chrétienne à tourner notre regard vers le renouvellement des saisons de notre personne, aussi bien intérieures qu’extérieures.
P. Toussaint KAFARHIRE MURHULA, S.J.,
Directeur Général du CARF
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